Les trois teintes d’une période charnière ou comment j’ai fait le choix de changer de voie après cinq années d’études.

#1. Illusion

En septembre 2017, j’ai 23 ans et j’entame ma dernière année d’études dans le domaine de la communication. Je démarre alors une alternance à l’Opéra national de Paris comme community manager junior. Je suis motivée, ambitieuse, rigoureuse. Commence alors une idéalisation innocente de tous les éléments qui composent mon environnement : mon métier, mon entreprise, mes collègues, le monde du travail, moi-même. Assez naturellement, cette période s’est terminée par un sentiment de désillusion totale.

C’est vrai qu’en signant mon contrat j’étais plutôt prévenue. Cette année allait être une année de travail, avec un rythme dense, durant laquelle je ne compterais certainement pas mes heures. Celui qui occupait le poste avant moi, à la différence qu’il était en stage de six mois, avait d’ailleurs conclu « mais ça en vaut la peine ». Travailler et réussir, voici donc l’état d’esprit qui m’habitait au commencement de mon alternance. Il fallait que je sois à la hauteur, je ne voulais pas décevoir.

À ce moment là, j’ai rapidement compris que je ne pourrais pas être sur tous les fronts alors j’ai laissé de côté l’aspect social pour me concentrer entièrement sur mes missions. Je ne me suis pas laissée le temps de créer de relations avec les personnes qui m’entouraient dans nos bureaux. Je me suis très rapidement calquée sur le rythme de ma supérieure : concentration, travaille, performance… J’ai tout de suite été impressionnée par ce qu’elle dégageait en tant que professionnelle : assurance, force, organisation sans faille, rigueur et perfection. Alors j’ai tenté de reproduire ces mêmes traits.

Pendant ces premiers mois je pensais que tout allait bien. À la force de mon mental, je construisais une réalité basée sur des croyances qui me permettaient de me convaincre que ce mode de fonctionnement était juste pour moi. Je trouvais donc du réconfort auprès de personnes qui partageaient des pensées communes aux miennes, venant ainsi renforcer mes choix. C’est en adoptant cette dynamique d’imposture vis-à-vis de moi-même que je me suis petit à petit perdue. Plus je m’éloignais de ma vérité, plus j’accordais de l’importance à ceux qui pensaient me connaître mieux que moi-même.

#2. Désenchantement

La prise de conscience de mon travail sans relâche et obstiné est arrivée, s’en est suivi une période plus sombre. Celle où j’ai réalisé et accepté que quelque chose dans ma vie n’allait pas. Les signes devenaient de plus en plus évidents : mon énergie devenait lâche, je ressentais une baisse de motivation, j’étais dans l’incapacité de ressentir de la joie. Surtout, je vivais un sentiment de solitude profond. J’ai compris alors qu’il était temps d’ouvrir les yeux sur mes émotions et mes limites, que peut-être je venais de dépasser.

À partir du mois de janvier, au retour des vacances de Noël, j’ai vécu une période d’épuisement mental et physique. J’avais le sentiment de ne jamais faire assez, de ne pouvoir tenir aucun délai, de ne pas être assez productive. J’étais persuadée de faire le travail de plusieurs personnes à la fois, sans que jamais quiconque au travail ne soit reconnaissant pour cela. J’ai vécu une profonde injustice, un grand moment de désillusion aussi sur ce que le « monde du travail » m’offrait ici comme définition. J’avais la certitude de donner de ma personne, de mon temps aussi puisque je restais souvent tard le soir, cela ne semblait jamais suffisant pourtant. De ce fait, je n’étais pas satisfaite de mon travail non plus. Pendant cette période, je me suis refermée sur moi-même, j’ai perdue confiance en moi, autant sur les plans humain et relationnel que professionnel.

Il m’était devenu impossible d’entretenir le peu de relations professionnelles que j’avais jusqu’à présent essayé de créer avec mes collègues. Lorsque j’ai craqué, j’étais donc véritablement seule. D’autant plus que la communication avec ma supérieure était à ce moment là complètement rompue… ne sachant pas mutuellement comment gérer la situation.

Sans surprise, lorsque je résiste à faire des changements nécessaires dans ma vie, c’est la vie elle même qui s’en charge pour moi. Elle m’apporte comme un vent violent un retour de boomerang : la transition, au lieu de se faire en douceur, se passe en résistance. Avoir conscience de ce besoin vital de changement ne m’a pas empêché d’atteindre et de dépasser mes limites. Je suis devenue esclave de mes croyances devenues obsolètes, et par peur du changement me suis consumée de l’intérieur.

Dans ce contexte, je pensais que la seule solution pour ne pas y laisser ma peau était de tout arrêter. De toute façon, je n’avais plus la force de continuer. Finalement, je suis tombée malade. J’ai fait une crise aiguë de psoriasis qui a recouvert en quelques semaines l’intégralité de mon corps. Ce dernier, mon allié, me disait finalement ce que je ne voulais par voir. Malgré cette preuve évidente, il m’a fallu du temps avant de prendre rendez-vous chez le médecin, de me sentir légitime dans cette démarche… Je me souviens avoir présenté à celui-ci mes excuses de ne pas avoir été assez forte, d’avoir abandonné. C’était exactement l’état d’esprit dans lequel j’étais, je me sentais terriblement coupable. Son diagnostic était sans appel… burn-out et arrêt de travail d’une semaine « pour commencer ». Burn-out, à seulement 23 ans ? Bien que tout mon être, mon corps et mon esprit reflétaient cette souffrance, il m’était difficile d’accepter cette vérité.

Autant dans mon environnement professionnel que personnel, j’ai été confrontée à des croyances autour de ce syndrome d’épuisement professionnel. Elles me laissaient à penser qu’il fallait répondre à une liste chargée de conditions pour être acceptée dans cet état. Comme si, pour justifier d’une réelle légitimité à se sentir profondément mal, il fallait travailler depuis tant d’années, avoir plus de tel âge, occuper tel poste à responsabilités, ressentir tel degré de souffrance… Beaucoup de signes autour de moi m’invitaient à croire que c’était un acte de faiblesse de ma part de m’enfoncer dans ce mal-être. Pire, qu’il me suffisait de changer d’état d’esprit pour qu’il disparaisse… le fameux : « c’est dans la tête ». Je me souviens encore de cette phrase incisive entendue à propos d’une autre femme : « non mais elle, elle a fait un vrai burn-out ». En existerait-il des faux ? Tout symptôme n’est-il pas à prendre au sérieux ?

Durant cette semaine d’arrêt maladie, je me suis littéralement arrêtée. J’ai cessé de courir et j’ai eu comme une révélation. Quel soulagement de retrouver la liberté d’errance de l’esprit, la légèreté de pouvoir simplement être sans rien prévoir, sans avoir peur de… J’ai pris conscience petit à petit que mon esprit s’ouvrait de nouveau. Réapprendre à converser avec soi-même, doucement. S’entendre penser, à nouveau. Pendant cette semaine de liberté, tout ce que j’avais l’impression d’avoir perdu est revenu : ma créativité, mon inspiration, mes idées de projets, mes envies de vie. Cette semaine là a été décisive.

Cette période que j’ai vécue entre 2017 et 2018 m’a offert la possibilité d’avoir cette réflexion à nouveau. Souhaitais-je réellement terminer mes études, pour quelles raisons, jusqu’où étais-je prête à aller, combien de ma personne étais-je prête à donner et finalement, comment est-ce que je souhaitais les terminer…? Il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses, ou de décisions meilleures qu’une autre. L’important pour moi était de trouver ma vérité, le véritable sens de tout ce que j’étais en train de vivre et de faire un choix, consciemment.

#3. Résilience

Le troisième temps est donc celui de l’acceptation et de la résilience. D’abord, j’ai pris la décision de terminer mes études et de retourner au bureau le lundi suivant. Ensuite, j’ai réalisé que j’avais été formée pour le salariat une bonne partie de ma vie alors qu’en réalité c’est un modèle qui ne me correspond pas, trop énergivore et pas toujours gratifiant à mon sens. Étudier pendant des années après le bac, suivre la voie générale, me préparer à être « chargée de… », puis me spécialiser pendant cinq ans dans ma première entreprise… n’est peut-être pas le chemin que je souhaite prendre. Je me sentais enfermée dans une case minuscule. Et, même si la transition vers un domaine différent me faisait peur, c’est ce que je souhaitais entreprendre. En toute sincérité, j’avais l’impression de bientôt sortir de mes études classiques et d’avoir tout à recommencer, en ayant la pression du temps qui passe et l’impérieux besoin de gagner ma vie tout en l’inventant. Pourtant, une nouvelle envie de vie, une soif d’explorations, m’ont permise de sauter le pas vers autre chose.

L’ensemble de cette expérience m’a permis de faire le point sur les choix que j’avais fait jusqu’à présent et toutes les conséquences qu’ils ont eu sur mon évolution au sens large. Depuis ma quatrième année d’études déjà, l’idée de ne finalement pas évoluer dans le domaine de la communication me traversait l’esprit. Une petite voix me rappelait que ce n’était sans doute pas ce dont j’avais envie une fois mes études terminées… Sans jamais réellement formaliser cette intuition, j’ai fait le choix de conclure mes études de communication. C’était une décision mûrement réfléchie que de vouloir finaliser ma formation, fermer ce chapitre académique en sachant que j’étais allée jusqu’au bout, qu’il n’y aurait finalement rien à regretter par la suite.

Grâce à l’accueil inébranlable de ma famille vis à vis de ma situation, par le non- jugement et la bienveillance qu’elle m’a offert, j’ai fait le choix de terminer ce que j’avais entrepris. L’arrivée d’une nouvelle personne dans notre service m’a permis d’être soulagée en terme de charge de travail. Elle est devenue mon alliée, un véritable binôme avec lequel je pouvais échanger et travailler. Sa présence m’a permis de trouver un équilibre, et son caractère de prendre du recul. Plus que tout, elle a apporté la confirmation que, seule, je réalisais bien le travail de plusieurs personnes et que je n’avais plus à être désolée d’avoir échoué, ni même à continuer de penser en termes d’échecs.

Ainsi, j’ai trouvé la force de redémarrer la machine et de puiser dans cette expérience tout ce que je pouvais en extraire de positif. Comme tenter de m’instruire de mes observations pour nourrir un projet professionnel personnel et cohérent. J’ai ainsi commencé à remettre en question les modèles de réussite et le monde du travail « classique » qui m’apparaissaient jusqu’à présent être les seules options s’offrant à moi. Depuis, un nouveau champ des possibles se dessine et me remplit de joie.

Depuis bien longtemps maintenant le domaine du bien-être m’attire. Avec du recul, ce n’est finalement pas une si grande surprise pour moi que de vouloir évoluer professionnellement dans cet univers. Ainsi, depuis octobre 2018, je navigue dans des eaux incroyablement lumineuses, éclairée sur mon chemin par des êtres profondément bienveillants et inspirants. J’ai fait le choix de m’offrir une année de parenthèse pour réaliser mes rêves et me laisser être. Aussi pour soigner mes blessures, mes lignées, mon passé et expérimenter différentes voies de guérison : le yoga, la danse médecine, la méditation, la pleine conscience, les cercles de paroles, le chamanisme, l’ayurvéda… Une aventure surprenante dans laquelle je renoue avec mon corps, mon esprit, mon âme… pour ne faire plus qu’une et trouver l’équilibre juste.

— Cet article est en partie tiré de mon mémoire de fin d’études écrit en mai 2018.

Pour aller plus loin :
Documentaire : La mécanique burn-out, Elsa Fayner